Mimet chez Cézanne
Une photographie intrigante
Dimanche, il y a eu cette photo grand-format, aperçue au vide-grenier de la place des prêcheurs, esquichée dans l’amoncellement de bric-à-brac, entre mitaines trouées, téléphone à cadran rotatif vintage et jeux d’enfants au plastique délavé.
Mon regard s’arrête sur un cliché, représentant un paysage de Provence, avec une perspective au relief décapant.
Pendant un certain temps nous avons cherché à savoir d’où la photographie avait été prise, même les deux femmes du stand sont perplexes, personne ne sait…
Nous restons là longuement, le regard plongé dans la photo, alors que se creuse le fossé de l’énigme. L’horloge du Beffroi nous tire de nos pensées et l’activité fourmillante du vide-grenier reprend. En rentrant, je demeure songeuse, sur mon vélo, sentant le vent léger d’automne s’engouffrer dans mon cou.
Le village inconnu retrouvé sur la “toile”
Et aujourd’hui en faisant glisser l’actualité sur Facebook du bout des doigts, je suis frappée par cet extrait d’une lettre de Paul Cézanne, publié par Valerie Blaecke sur son mur, et qui fait écho au paysage de la photo. Ce village perché avec la Sainte-Victoire, dorsale reptilienne ondulante en arrière-plan serait-ce Mimet ?
Mimet est situé au nord de Marseille, c’est le plus haut village des Bouches-du-Rhône, culminant à 491 mètres, coincé entre Gardanne et Gréasque, sur la chaîne de l’Étoile. C’est là qu’on trouve l’oppidum de la Tête de l’Ost, petit village fortifié de l’âge de fer classé monument historique. D’un côte une vue sur la baie de Marseille et les porte-containers du port gesticulantes. De l’autre la chaîne de la Sainte-Venture.
Au premier abord un village du sud semblable à mille autre pareils. Magnifié et porté aux nues par le “père” de tous les peintres…Paul Cézanne, qui possédait une aussi belle plume qu’un pinceau avisé. Lisons plutôt cet extrait de sa correspondance avec Émile Zola, son ami d’enfance, son alter-égo, celui qui l’encouragea à se mettre à la peinture.
L’œil du peintre
« J’ai toujours aimé marcher. Alors, me voici en chemin à travers les pinèdes qui entourent Gardanne. Depuis chez mon amie, je voyais au loin, dans l’Étoile, un village. Elle me renseigna : c’était Mimet, « un pays où l’on mange des pois chiches » me précisa-t-elle, un peu narquoise. Après trois heures, j’y suis.
A vrai dire, je suis allé un peu plus loin. Un paysan m’a indiqué un lieu-dit, la Prunière. Et voilà, mon cher, c’est une merveille, c’est beau comme un décor. Ici, c’est un pays de collines découpées en terrasses cultivées : il y a du blé partout devant moi, avec des amandiers, des figuiers et de la vigne. Ils font une piquette savoureuse, à la fois aigrelette et sucrée, à boire dans l’année. Et il y a le village allongé sur un piton rocheux, dans le midi quand les ombres sont courtes, on dirait un jeu de cubes en désordre, étiré avec son clocher qui aspire tout vers le ciel. Le plus beau, mon cher, d’un côté, au levant, tu as la montagne, et au fond la Sainte-Victoire, ma Sainte-Victoire de face tel un mur festonné qui renvoie la lumière et creuse le village. Et par-dessus, un ciel de turquoise lavé de mistral. Pour seul bruit, j’ai des sonnailles de chèvres et des bêlements de moutons.
Voilà, je suis revenu par ce sentier de la Prunière, en passant sous les chênes. Nulle habitation aux alentours, seulement des champs et des gens qui s’activent aux vendanges.
Personne à Mimet n’a voulu se hausser du col, on a fait avec ce qu’on avait : les maisons sont de calcaire bleu, cassant, une humble pierre. Ils la gardent telle quelle, sans crépis, seulement jointoyée : la lumière joue là-dedans que c’en est une merveille. Une génoise par-ci et les tuiles aux reflets multiples qui profitent du soleil par-là. Il y a des gens qui m’observent, des gosses pieds nus, dépenaillés, mais j’ai vu en bas qu’ils ont une école toute neuve avec un lavoir et une fontaine au bord de la petite route à peine empierrée. Et sur la place, tu as des acacias : ils ne sont pas bien gros parce que le rocher est présent partout, peu de terre sur ce piton, et parfois tu le vois au pied des maisons, retaillé pour s’asseoir. Ils doivent aimer ça, s’asseoir parce que les bancs, il y en a près de chaque entrée ! Parfois en plus, il reste une chaise oubliée depuis la dernière conversation d’hier, à la fraîcheur. Voilà, il y a une fontaine avec des fers forgés, un robinet et des femmes qui attendent leur tour pour emplir leur jarre à eau. Elles ne sont pas pressées, elles bavardent sous leur fichu avec leur robe sombre jusque par terre.
Ce village est fait en escargot, la rue unique où courent partout des poules caquetantes s’enroule et monte à l’église : elle est toute simple mais renferme la plus ancienne crèche de Provence, une belle grille d’autel, un pavement de marbre noir et blanc… Dehors, c’est le château, enfin ce qu’il en reste, beaucoup de ruines : elles m’ont plu. Tu vois, les puissants seigneurs qui avaient construit cette forteresse n’ont rien pu faire. Ce sont les petites gens qui l’ont emporté : leur patience a été plus forte que leur faiblesse, ils ont enroulé leurs maisons autour d’un noyau dur et vide. D’en haut, tu as une vue superbe vers le Ventoux, l’Etang de Berre, vers Aix caché dans son repli de colline…
C’est un village de pierres, c’est minéral, on dirait un nid d’abeilles. De loin, je le dis maintenant, Mimet couronne un relief nu, il n’y a pas d’arbre, leur bétail a tout mangé aux abords des maisons. Je reviendrai peindre ici.
Ton ami Cézanne. Le 18 septembre 1885 »
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