Visite virtuelle du fort Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon

26 Fév, 2021

Nous avons effec­tué une visite de repé­rage du Fort Saint André. Situé sur la col­line Andaon, il s’a­git d’un lieu de culte chré­tien en sur­plomb de Villeneuve-lès-Avignon.

Récit:

Venue d’Aix-en-Provence, je m’en­gage sur le pont qui enjambe le Rhône pas­sant du Vaucluse au Gard. Je me gare juste devant l’en­trée prin­ci­pale de l’en­ceinte, une chance qu’il reste une place dans la rue pen­tue ! Avec ma fiat pan­da, je m’in­sère n’im­porte où.

Le site, comme tous les musées et centres d’art est actuel­le­ment fer­mé au public en rai­son des condi­tions sani­taires liées au COVID19. On a le pri­vi­lège de le visi­ter en mode VIP en vue de pré­pa­rer les ate­liers d’é­lo­quence qu’on mène­ra en mars avec des jeunes deman­deurs d’a­sile sco­la­ri­sés au lycée Maria Casarès d’Avignon. Le thème des séances: le patri­moine fran­çais, et plus par­ti­cu­liè­re­ment une for­te­resse du sud de la France.

Ce sont Bénédicte, média­trice cultu­relle et Héloïse, char­gée de la pro­gram­ma­tion et du ser­vice édu­ca­tif pour le centre des monu­ments natio­naux (CMN), qui nous accueille. Alicia est aus­si de la par­tie, c’est l’en­sei­gnante en charge de la classe d’ac­cueil UPE2A  (Unité Pédagogique pour Elève Allophone Arrivant), classe pour laquelle j’a­ni­me­rai les séances d’art ora­toire. Les allo­phones étant des per­sonnes dont la langue mater­nelle est une langue étran­gère au pays dans lequel ils vivent.

La visite de ce fort est un bon moyen d’é­tu­dier les opé­ra­tions médié­vales polior­cé­tiques, c’est à dire l’art d’as­sié­ger une ville.

Le fort Saint-André, tour à tour lieu de vie, gar­ni­son et pri­son com­men­cé au 13ème siècle par Louis VIII suite à un acte de paréage avec l’ab­bé de Clausonne, pour se par­ta­ger les terres en co-seigneurie, paréage qui sera renou­ve­lé par Philippe-le-bel au 13ème siècle avec l’ab­bé Saint André, dési­reux de s’af­fran­chir de la tutelle d’Avignon. Il fut ache­vé au 14ème siècle sous Jean II Le Bon. La col­line d’Andaon est un lieu de pèle­ri­nage datant du 6ème siècle. Sainte Casarie, fille d’un roi Wisigoth d’Aragon, y vécu en ermi­tage, recluse dans une grotte jus­qu’en 586. Elle aurait été l’é­pouse d’un des pre­miers évêques d’Avignon, Valens, qui fit éri­ger une stèle en son honneur.

Au Moyen-Age, les membres du cler­gé était auto­ri­sés à prendre femme, et ce n’est qu’en 305 au concile d’Elvire que l’é­glise l’in­ter­dit. Cependant ça n’a pas empê­ché cer­tains de bra­ver l’in­ter­dit. C’est d’ailleurs que semble avoir fait cet évêque en épou­sant la noble jeune femme. Peut-être s’est-il rache­té en gra­vant son épi­taphe sur une plaque de marbre.

Le tom­beau de la Sainte fit l’ob­jet d’une véné­ra­tion, ce qui entrai­na la construc­tion d’une cha­pelle au Xème siècle pour y accueillir les pèle­rins et dont il ne reste que des ruines. Casarie fut éle­vée au rang de Sainte au 11ème siècle et on construi­sit une abbaye béné­dic­tine pour y pla­cer ses reliques.  Elle devien­dra l’une des plus puis­santes mai­sons reli­gieuses du Midi, à la tête de nom­breux prieu­ré. Le bourg se construit autour de l’ab­baye, for­ti­fiée au XIVème siècle pour assu­rer la sécu­ri­té des moines contre les attaques des mer­ce­naires. Le vil­lage est déser­té au XXème siècle et ses habi­ta­tions sont un champ de ruines.

L’entrée du fort est flan­quée de 2 tours cylin­driques cré­ne­lées, si monu­men­tales qu’elles me donnent le tour­nis, je me sens une lil­li­pu­tienne à leur pied. Du 10ème au 18ème siècle, le Rhône cou­lait en contre­bas du fort suite aux diverses crues, ce qui explique l’emplacement des rem­parts autour du fort. De nos jours en bas on aper­çoit la route prin­ci­pale de Villeneuve-Lès-Avignon et la plaine allu­viale, que l’on a choi­si pour y héber­ger le fes­ti­val de théâtre « Villeneuve en scène ».

Une fois l’im­po­sante grille en fer fran­chie on accède à un che­min pavé- entrée qui à l’é­poque était bien gar­dé: quand on avait atteint le pont levis, l’ac­cès était blo­quée par deux herses et deux portes, sans oublier les archères d’où l’on déco­chait des flèches aux impos­teurs. Il valait mieux ne pas trai­ner dans le coin sans rai­son valable !

Nous nous diri­geons tout d’a­bord vers la cha­pelle de Belvezet, signi­fiant en occi­tan « belle vue ». Seul ves­tige d’art roman du site, elle fut rem­pla­cée par l’é­glise Saint-Pons quand la popu­la­tion du bourg s’a­gran­dit. L’intérieur est sobre, ce qui est carac­té­ris­tique de ce type d’ar­chi­tec­ture, on y trouve des reliques de fresques ça et là dont les des­sins sont à peine déchif­frables. Une sino­pia du XIVème siècle, ébauche de fresque réa­li­sée avec le pig­ment rouge du même nom, fait face à l’en­trée et repré­sente le christ sur la croix entre la vierge et Saint-Jean. A l’en­trée, des marques de tâche­rons, manière pour le tailleur de pierre de récla­mer son dû en appo­sant une empreinte. Comme l’in­dique le nom de la cha­pelle, la vue est appré­ciable, car à tra­vers les aman­diers en fleurs à cette période, on dis­tingue dans la brume le Rhône, la plaine allu­viale et le palais des papes d’Avignon. En redes­cen­dant on accède à la tour des masques, côté orien­tal du fort. De « Masco » : « sor­cière » en pro­ven­çal, c’est là qu’on enfer­mait les héré­tiques pen­dant les guerres de reli­gion. Brrr j’en ai froid dans le dos ! Au des­sus de la porte d’en­trée en ogive, on aper­çoit une étroite ouver­ture qui avait deux rôles, ser­vant soit d’ « assom­moir » en cas d’in­tru­sion enne­mie soit de monte-charge pour encom­brants, la fonc­tion pra­tique étant le mot d’ordre ! Et il faut dire que les esca­liers en coli­ma­çon ne per­met­tait pas vrai­ment d’y faire pas­ser grand chose. La petite pièce adja­cente avait aus­si une double fonc­tion: tan­tôt cachot, tan­tôt entre­pôt selon l’époque.

Au centre de la salle prin­ci­pale de style gothique avec des niches de tir au quatre coins : l’ar­cher s’y tenait debout sur un banc de pierre appe­lé cous­siège et visait l’as­saillant à tra­vers la meur­trière. Autre idée stra­té­gique: les sol­dats avaient 4 fois plus de chance d’at­teindre l’en­ne­mi en rechar­geant leur arba­lète à tour de rôle. Le temps c’est de l’argent !

Un jeu de mérelles, ancêtre antique du jeu de mor­pions ou de dames, est gra­vé sur le sol tel un graf­fi­ti, il fal­lait bien que les sol­dats s’oc­cupent en cas de trêve ! Presque toutes les salles du châ­teau portent les stig­mates du pas­sage des hommes. Graffitis, ins­crip­tions, des­sins ornent les murs des pièces du fort. Des phrases gra­vées pour l’é­ter­ni­té. Sur un pan de mur de la salle des Masques, on peut lire par­mi d’autre l’ins­crip­tion : « Qui une fois au vice est venu se adon­ner, il ne craint nul­le­ment sou­vent d’y retour­ner. »La syn­taxe laisse à dési­rer mais l’i­dée y est ! Ailleurs un car­ré Sator, palin­drome antique dont les 5 mots de 5 lettres peuvent se lire dans tous les sens: SATOR, AREPO, TENET, OPERA, ROTAS. La tra­duc­tion la plus pro­bable serait: « le Laboureur à sa char­rue ou en son champ dirige les tra­vaux ». Aujourd’hui encore, mathé­ma­ti­ciens et cher­cheurs tentent d’en inter­pré­ter le sens mais ont échoué à se mettre d’accord.

On gra­vit à pré­sent l’es­ca­lier sombre et étroi­te­du don­jon menant au che­min de ronde. Une estrade en bois est ins­tal­lée sur le toit de la tour pour la sai­son esti­vale, l’é­ta­blis­se­ment CMN y orga­nise des lec­tures, concerts ou autres ani­ma­tions. Cette fois la vue est encore plus spec­ta­cu­laire: on dis­tingue Villeneuve-lès-Avignon en contre­bas avec la tour Philippe-le-bel et le pont Saint-Bénézet, fameux « pont d’Avignon » sépa­rant la cité épis­co­pale du Comtat Venaissin qui s’en dis­pu­taient la pro­prié­té jus­qu’à la révo­lu­tion. S’il est cas­sé aujourd’­hui, c’est parce que les avi­gnon­nais se sont las­sés de le répa­rer suite aux diverses crues du Rhône si tumul­tueux. Réparés à moulte reprises, au 17ème siècle il «laissent cou­ler» et depuis, on y danse ! On aper­çoit aus­si la Collégiale du XIVème siècle, où vivaient une confré­rie de cha­noines et bien-sûr le palais des papes d’Avignon, clou du spectacle.

Le temps est maus­sade et on se refu­gie sous l’é­chau­guette du che­min de ronde, entre la tour des Masques et les tours jumelles. En fer­mant les yeux, on peut ima­gi­ner les sol­dats s’y abri­tant en scru­tant l’ho­ri­zon pen­dant leur tour de garde, pou­vant ain­si se réchauf­fer grâce à un feu de che­mi­née. Au XVIIème siècle, le fort sert de suc­cur­sale à l’Hôtel des Invalides de Paris, y ayant accueilli une soixan­taine de sol­dats venus de Champagne, Auvergne ou Normandie, pour désen­gor­ger Paris. Blessés ou muti­lés mais encore aptes au ser­vice, ils avaient pour tâche d’en­tre­te­nir le fort et main­te­nir l’ordre.

Arrivées à la hau­teur des tours jumelles, d’où on touche presque le ciel du doigt, on reprend l’es­ca­lier de la tour du Levant pour atteindre la salle des pri­son­niers. Ainsi nom­mée car elle est cou­verte d’ins­crip­tions gra­vées dans la pierre ain­si que des des­sins et des témoi­gnages lais­sant pen­ser qu’on y enfer­ma des pri­son­niers pen­dant les guerres. Je découvre des graf­fi­tis de che­vaux, des mains, des noms, on croi­rait presque à des faux !

On passe ensuite dans la salle des herses. Au mur, des anneaux, c’est là qu’on accro­chait des pou­lies pour y pas­ser des chaînes de fer. On manœu­vrait ain­si les herses grâce à un treuil. Un assom­moir est aus­si creu­sé, impos­sible pour l’en­ne­mi d’en réchap­per, la stra­té­gie est scru­pu­leu­se­ment étudiée.

La salle du four a pain, deve­nue une salle d’ex­po­si­tion éphé­mère où une sculp­ture contem­po­raine « d’u­sage » y trône. Elle a été conçue par des élèves en art et métier et ain­si nom­mée car c’est à la fois une œuvre d’art et un mobi­lier d’u­sage utile aux visi­teurs ! Le four fut construit au 17ème siècle lors d’une des vio­lentes épi­dé­mies de peste qui entrai­na une mise en qua­ran­taine et on trans­for­ma la che­mi­née en un four pour ali­men­ter nobles et vil­la­geois. L’autre pièce plus petite, aurait ser­vi de réserve à vivres. On dis­tingue un petit évier entre les cous­sièges, sortes de bancs acco­lés à la fenêtre. Cette pièce a toutes les carac­té­ris­tiques d’une cuisine.

En redes­cen­dant, on trouve une pièce exigüe à double porte qui ser­vait à sto­cker la poudre à canons pour la pro­té­ger de l’hu­mi­di­té et des chocs , c’est la réserve à muni­tions. En fai­sant quelques recherches, j’ai décou­vert que la poudre nous vient d’Asie (un déjà-vu ?) et qu’elle arri­va en Europe au XIVème siècle par l’in­ter­mé­diaire des Arabes.

Dans chaque grande pièce du rez-de-chaussée des tours, on a per­cé des trous dans les murs, à inter­valle régu­lier, il sem­ble­rait que c’é­tait pour y pla­cer des poutres afin de construire un étage. En bas de la tour du levant, la salle du viguier, der­nière pièce à visi­ter. Le viguier était l’of­fi­cier en charge de la jus­tice au ser­vice du roi, garant des rap­ports de cour­toi­sie entre le peuple, les sol­dats et les ecclé­sias­tiques. Au niveau d’une des clés de voûte, au croi­se­ment des ogives gothiques, en éle­vant le regard 11 mètres plus haut, on aper­çoit un bla­son intact avec 3 fleurs de lys, motif de Charles V au XIVème siècle.

A la suite de la visite du fort, on déam­bule à tra­vers les rues de la petite ville de Villeneuve-lès-Avignon, passe par l’église Saint-Pons, aux arcades symé­triques offrant une pers­pec­tive inté­res­sante, dont les murs jau­nâtres en pierre de taille calcaire-argileuse rap­pellent par endroit le saffre. 

Notre balade nous amène enfin dans le parc boi­sé de la col­line des Mourgues au sud de la ville, d’où la vue du fort et de Villeneuve-lès-Avignon est imprenable.

Fin de visite. On espère qu’elle vous a don­né envie de décou­vrir le site et de réser­ver une visite auprès du Fort! Toutes les infos sur: http://www.fort-saint-andre.fr/#

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