Visite virtuelle du fort Saint-André à Villeneuve-lès-Avignon
Nous avons effectué une visite de repérage du Fort Saint André. Situé sur la colline Andaon, il s’agit d’un lieu de culte chrétien en surplomb de Villeneuve-lès-Avignon.
Récit:
Venue d’Aix-en-Provence, je m’engage sur le pont qui enjambe le Rhône passant du Vaucluse au Gard. Je me gare juste devant l’entrée principale de l’enceinte, une chance qu’il reste une place dans la rue pentue ! Avec ma fiat panda, je m’insère n’importe où.
Le site, comme tous les musées et centres d’art est actuellement fermé au public en raison des conditions sanitaires liées au COVID19. On a le privilège de le visiter en mode VIP en vue de préparer les ateliers d’éloquence qu’on mènera en mars avec des jeunes demandeurs d’asile scolarisés au lycée Maria Casarès d’Avignon. Le thème des séances: le patrimoine français, et plus particulièrement une forteresse du sud de la France.
Ce sont Bénédicte, médiatrice culturelle et Héloïse, chargée de la programmation et du service éducatif pour le centre des monuments nationaux (CMN), qui nous accueille. Alicia est aussi de la partie, c’est l’enseignante en charge de la classe d’accueil UPE2A (Unité Pédagogique pour Elève Allophone Arrivant), classe pour laquelle j’animerai les séances d’art oratoire. Les allophones étant des personnes dont la langue maternelle est une langue étrangère au pays dans lequel ils vivent.
La visite de ce fort est un bon moyen d’étudier les opérations médiévales poliorcétiques, c’est à dire l’art d’assiéger une ville.
Le fort Saint-André, tour à tour lieu de vie, garnison et prison commencé au 13ème siècle par Louis VIII suite à un acte de paréage avec l’abbé de Clausonne, pour se partager les terres en co-seigneurie, paréage qui sera renouvelé par Philippe-le-bel au 13ème siècle avec l’abbé Saint André, désireux de s’affranchir de la tutelle d’Avignon. Il fut achevé au 14ème siècle sous Jean II Le Bon. La colline d’Andaon est un lieu de pèlerinage datant du 6ème siècle. Sainte Casarie, fille d’un roi Wisigoth d’Aragon, y vécu en ermitage, recluse dans une grotte jusqu’en 586. Elle aurait été l’épouse d’un des premiers évêques d’Avignon, Valens, qui fit ériger une stèle en son honneur.
Au Moyen-Age, les membres du clergé était autorisés à prendre femme, et ce n’est qu’en 305 au concile d’Elvire que l’église l’interdit. Cependant ça n’a pas empêché certains de braver l’interdit. C’est d’ailleurs que semble avoir fait cet évêque en épousant la noble jeune femme. Peut-être s’est-il racheté en gravant son épitaphe sur une plaque de marbre.
Le tombeau de la Sainte fit l’objet d’une vénération, ce qui entraina la construction d’une chapelle au Xème siècle pour y accueillir les pèlerins et dont il ne reste que des ruines. Casarie fut élevée au rang de Sainte au 11ème siècle et on construisit une abbaye bénédictine pour y placer ses reliques. Elle deviendra l’une des plus puissantes maisons religieuses du Midi, à la tête de nombreux prieuré. Le bourg se construit autour de l’abbaye, fortifiée au XIVème siècle pour assurer la sécurité des moines contre les attaques des mercenaires. Le village est déserté au XXème siècle et ses habitations sont un champ de ruines.
L’entrée du fort est flanquée de 2 tours cylindriques crénelées, si monumentales qu’elles me donnent le tournis, je me sens une lilliputienne à leur pied. Du 10ème au 18ème siècle, le Rhône coulait en contrebas du fort suite aux diverses crues, ce qui explique l’emplacement des remparts autour du fort. De nos jours en bas on aperçoit la route principale de Villeneuve-Lès-Avignon et la plaine alluviale, que l’on a choisi pour y héberger le festival de théâtre « Villeneuve en scène ».
Une fois l’imposante grille en fer franchie on accède à un chemin pavé- entrée qui à l’époque était bien gardé: quand on avait atteint le pont levis, l’accès était bloquée par deux herses et deux portes, sans oublier les archères d’où l’on décochait des flèches aux imposteurs. Il valait mieux ne pas trainer dans le coin sans raison valable !
Nous nous dirigeons tout d’abord vers la chapelle de Belvezet, signifiant en occitan « belle vue ». Seul vestige d’art roman du site, elle fut remplacée par l’église Saint-Pons quand la population du bourg s’agrandit. L’intérieur est sobre, ce qui est caractéristique de ce type d’architecture, on y trouve des reliques de fresques ça et là dont les dessins sont à peine déchiffrables. Une sinopia du XIVème siècle, ébauche de fresque réalisée avec le pigment rouge du même nom, fait face à l’entrée et représente le christ sur la croix entre la vierge et Saint-Jean. A l’entrée, des marques de tâcherons, manière pour le tailleur de pierre de réclamer son dû en apposant une empreinte. Comme l’indique le nom de la chapelle, la vue est appréciable, car à travers les amandiers en fleurs à cette période, on distingue dans la brume le Rhône, la plaine alluviale et le palais des papes d’Avignon. En redescendant on accède à la tour des masques, côté oriental du fort. De « Masco » : « sorcière » en provençal, c’est là qu’on enfermait les hérétiques pendant les guerres de religion. Brrr j’en ai froid dans le dos ! Au dessus de la porte d’entrée en ogive, on aperçoit une étroite ouverture qui avait deux rôles, servant soit d’ « assommoir » en cas d’intrusion ennemie soit de monte-charge pour encombrants, la fonction pratique étant le mot d’ordre ! Et il faut dire que les escaliers en colimaçon ne permettait pas vraiment d’y faire passer grand chose. La petite pièce adjacente avait aussi une double fonction: tantôt cachot, tantôt entrepôt selon l’époque.
Au centre de la salle principale de style gothique avec des niches de tir au quatre coins : l’archer s’y tenait debout sur un banc de pierre appelé coussiège et visait l’assaillant à travers la meurtrière. Autre idée stratégique: les soldats avaient 4 fois plus de chance d’atteindre l’ennemi en rechargeant leur arbalète à tour de rôle. Le temps c’est de l’argent !
Un jeu de mérelles, ancêtre antique du jeu de morpions ou de dames, est gravé sur le sol tel un graffiti, il fallait bien que les soldats s’occupent en cas de trêve ! Presque toutes les salles du château portent les stigmates du passage des hommes. Graffitis, inscriptions, dessins ornent les murs des pièces du fort. Des phrases gravées pour l’éternité. Sur un pan de mur de la salle des Masques, on peut lire parmi d’autre l’inscription : « Qui une fois au vice est venu se adonner, il ne craint nullement souvent d’y retourner. »La syntaxe laisse à désirer mais l’idée y est ! Ailleurs un carré Sator, palindrome antique dont les 5 mots de 5 lettres peuvent se lire dans tous les sens: SATOR, AREPO, TENET, OPERA, ROTAS. La traduction la plus probable serait: « le Laboureur à sa charrue ou en son champ dirige les travaux ». Aujourd’hui encore, mathématiciens et chercheurs tentent d’en interpréter le sens mais ont échoué à se mettre d’accord.
On gravit à présent l’escalier sombre et étroitedu donjon menant au chemin de ronde. Une estrade en bois est installée sur le toit de la tour pour la saison estivale, l’établissement CMN y organise des lectures, concerts ou autres animations. Cette fois la vue est encore plus spectaculaire: on distingue Villeneuve-lès-Avignon en contrebas avec la tour Philippe-le-bel et le pont Saint-Bénézet, fameux « pont d’Avignon » séparant la cité épiscopale du Comtat Venaissin qui s’en disputaient la propriété jusqu’à la révolution. S’il est cassé aujourd’hui, c’est parce que les avignonnais se sont lassés de le réparer suite aux diverses crues du Rhône si tumultueux. Réparés à moulte reprises, au 17ème siècle il «laissent couler» et depuis, on y danse ! On aperçoit aussi la Collégiale du XIVème siècle, où vivaient une confrérie de chanoines et bien-sûr le palais des papes d’Avignon, clou du spectacle.
Le temps est maussade et on se refugie sous l’échauguette du chemin de ronde, entre la tour des Masques et les tours jumelles. En fermant les yeux, on peut imaginer les soldats s’y abritant en scrutant l’horizon pendant leur tour de garde, pouvant ainsi se réchauffer grâce à un feu de cheminée. Au XVIIème siècle, le fort sert de succursale à l’Hôtel des Invalides de Paris, y ayant accueilli une soixantaine de soldats venus de Champagne, Auvergne ou Normandie, pour désengorger Paris. Blessés ou mutilés mais encore aptes au service, ils avaient pour tâche d’entretenir le fort et maintenir l’ordre.
Arrivées à la hauteur des tours jumelles, d’où on touche presque le ciel du doigt, on reprend l’escalier de la tour du Levant pour atteindre la salle des prisonniers. Ainsi nommée car elle est couverte d’inscriptions gravées dans la pierre ainsi que des dessins et des témoignages laissant penser qu’on y enferma des prisonniers pendant les guerres. Je découvre des graffitis de chevaux, des mains, des noms, on croirait presque à des faux !
On passe ensuite dans la salle des herses. Au mur, des anneaux, c’est là qu’on accrochait des poulies pour y passer des chaînes de fer. On manœuvrait ainsi les herses grâce à un treuil. Un assommoir est aussi creusé, impossible pour l’ennemi d’en réchapper, la stratégie est scrupuleusement étudiée.
La salle du four a pain, devenue une salle d’exposition éphémère où une sculpture contemporaine « d’usage » y trône. Elle a été conçue par des élèves en art et métier et ainsi nommée car c’est à la fois une œuvre d’art et un mobilier d’usage utile aux visiteurs ! Le four fut construit au 17ème siècle lors d’une des violentes épidémies de peste qui entraina une mise en quarantaine et on transforma la cheminée en un four pour alimenter nobles et villageois. L’autre pièce plus petite, aurait servi de réserve à vivres. On distingue un petit évier entre les coussièges, sortes de bancs accolés à la fenêtre. Cette pièce a toutes les caractéristiques d’une cuisine.
En redescendant, on trouve une pièce exigüe à double porte qui servait à stocker la poudre à canons pour la protéger de l’humidité et des chocs , c’est la réserve à munitions. En faisant quelques recherches, j’ai découvert que la poudre nous vient d’Asie (un déjà-vu ?) et qu’elle arriva en Europe au XIVème siècle par l’intermédiaire des Arabes.
Dans chaque grande pièce du rez-de-chaussée des tours, on a percé des trous dans les murs, à intervalle régulier, il semblerait que c’était pour y placer des poutres afin de construire un étage. En bas de la tour du levant, la salle du viguier, dernière pièce à visiter. Le viguier était l’officier en charge de la justice au service du roi, garant des rapports de courtoisie entre le peuple, les soldats et les ecclésiastiques. Au niveau d’une des clés de voûte, au croisement des ogives gothiques, en élevant le regard 11 mètres plus haut, on aperçoit un blason intact avec 3 fleurs de lys, motif de Charles V au XIVème siècle.
A la suite de la visite du fort, on déambule à travers les rues de la petite ville de Villeneuve-lès-Avignon, passe par l’église Saint-Pons, aux arcades symétriques offrant une perspective intéressante, dont les murs jaunâtres en pierre de taille calcaire-argileuse rappellent par endroit le saffre.
Notre balade nous amène enfin dans le parc boisé de la colline des Mourgues au sud de la ville, d’où la vue du fort et de Villeneuve-lès-Avignon est imprenable.
Fin de visite. On espère qu’elle vous a donné envie de découvrir le site et de réserver une visite auprès du Fort! Toutes les infos sur: http://www.fort-saint-andre.fr/#
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