Tunisie : carnet de voyage oriental

2 Nov, 2022

En 14 ans : de la révolution à l’adieu au père.
Témoignage de 2 séjours effectués en Juin 2008 et Octobre 2022 à Tunis.

Excursion de juin 2008 : les vacances

Comme à son habi­tude, mon père est là, droit comme un I, pour nous accueillir à l’aé­ro­port au coeur d’une foule bigar­rée, voi­lée, enthou­siaste et bruyante. Autour de lui des hommes tiennent des pan­neaux avec des noms euro­péens s’adressant aux tou­ristes de marque. Lui nous adresse son sou­rire si doux et enve­lop­pant. Il est heu­reux comme un enfant.
En quelques jours, le vent traître et violent laisse la voie libre au soleil d’Afrique pour mar­quer au fer la face expo­sée de nos corps expo­sés sans anti­ci­pa­tion à ses rayons brû­lants. Comme ne cesse de le répé­ter mon pater­nel pour jus­ti­fier la conduite rou­tière carac­té­ris­tique, et les aber­ra­tions éveillant chez Maria la sur­prise: « c’est ça l’Afrique les filles, va fal­loir vous y faire ! ».

Une circulation infernale

Pour la toute pre­mière fois, mon père me laisse prendre le volant dans cette folie. Conductrice pour l’occasion, rem­pla­çant mon père qui depuis sa chute alpine a per­du cer­tains réflexes, je force le pas­sage entre les voi­tures indis­ci­pli­nées, bra­vant la cir­cu­la­tion esti­vale entre ville et rase cam­pagne. Les autoch­tones, la clope au bec, ner­veux, impa­tients et excé­dés par la cha­leur, se servent de leur klaxon comme d’un porte-voix, anti­ci­pant le pas­sage du feu rouge au vert. Je suis assis­tée par mon copi­lote de père, me susur­rant les direc­tions sans réelle anti­ci­pa­tion, à son habi­tude. Je fais mes preuves avec brio!

Cap Serrat, fief du cap Bon

Nous pas­sons deux jours dans un coin de para­dis, où j’ai pour habi­tude de me rendre depuis mon enfance avec ma famille et des amis. C’est un petit vil­lage sau­vage sur la pointe nord, à l’ouest de Bizerte, bor­dé de falaises rocheuses: Cap Serrat. Papa y a tou­jours pêché et cam­pé. Aujourd’hui il ne peut plus.
Des kilo­mètres de plage au sable fin se pro­filent à l’horizon, sui­vies de forêts d’eucalyptus.
Lorsque l’on entame une longue marche mi-cheville dans l’eau lagu­naire, mar­quant le sable de nos empreintes,on par­vient à de splen­dides criques quasi-désertes, épar­gnées par l’anthropisation.
Nos amis ber­bères que ma famille connaît depuis plus de 20 ans, nous accueillent à bras ouverts, avec des pro­duits de la mer et plein d’égards.
Ils grillent la pêche du jour accom­pa­gnée de tabounas-pain à la semoule cuit dans un four en terre cuite. Nous man­geons, atta­blés sous un sque­lette de maçon­ne­rie, sil­houette de la future pension.

Tunisie la mal aimée

Ce pays est moins encen­sé que le Maroc, moins grand, moins diver­si­fié et pour­tant je m’y sens chez moi. C’est ma deuxième patrie et j’y ai des sou­ve­nirs mar­quants. Alors je l’observe, assise dans mon jar­din à contem­pler le luxu­riant bou­gain­vil­lier rose tom­bant en cas­cade de ma fenêtre sur le mur de chaux blanche, fis­su­ré et vétuste.
Les cou­leurs bleues et blanches et les vues embru­mées sur les mon­tagnes du Boukornine et Ressas. Ces som­mets que l’on a gra­vis avec le club de marche de mon père dans mon ado­les­cence. Géants immuables qui gardent les empreintes de nos pas sur la terre cra­que­lée. Et pour­tant, elle est si fer­tile que lan­cer un noyau de dattes suf­fit à y faire pous­ser un palmier ! 

Voyage d’octobre 2022 : pèlerinage pour l’ultime épopée du père

Je pars avec 2 amis, mon père dans les bagages. Papa est avec nous sous forme de pous­sière. On va lui rendre un ultime hommage.

Le comité d’accueil n’est plus

Cette fois-ci il n’y a per­sonne pour nous accueillir à l’aé­ro­port, à part des chauf­feurs de taxi raco­leurs. Il est plus de minuit, ça aus­si c’est une première…après une négo­cia­tion ferme, le taxi démarre en trombe à tra­vers l’avenue sépa­rant l’aé­ro­port du centre de Tunis, déli­mi­tée par des terre-pleins et des clô­tures de fer. Les légen­daires pan­neaux publi­ci­taires géants ryth­mant le tra­jet. Les lumières dansent à tra­vers la vitre obs­truée par de vieux pare-soleils pous­sié­reux. Le chauf­feur, stres­sé et peu cha­leu­reux, le télé­phone coin­cé entre le cou et l’é­paule écoute, stoïque, son inter­lo­cu­teur. Il conduit d’une main, fume de l’autre. Il brûle les feux rouges, c’est nor­mal la nuit. Les rues sont qua­si désertes. Des déchets ça et là, éparses. Il nous dépose à l’en­droit dit et me tend une ciga­rette après avoir essuyé un refus,insiste. Je la prends et réa­lise que je vais dor­mir pour la pre­mière fois dans la vieille ville, Medina près de la Grande Mosquée Al Zitouna.

Les souvenirs se voilent

Tout res­sur­git comme les sou­ve­nirs pour Patrick Bruel alias Ben Guigui: les murs à chaux blanche, le jas­min qui embaume la nuit douce, les rues tor­tueuses. Il fait doux pour un soir d’oc­tobre. La mai­son fis­su­rée au jar­din mer­veilleux a été ven­due en 2010 et le nou­veau pro­prié­taire l’a rasée et rem­pla­cée par un block­haus sans âme.Il empiète sur les voi­sins, le bou­gain­vil­lier a disparu…
Alors celui que je vois ce soir grim­pant les hauts murs de la Medina me fas­cine. On ne croise que des chats errants, nom­breux, éter­nels. Certains sont endor­mis, rou­lés en boule au milieu du che­min, ou recro­que­villés sous un porche; d’autres amai­gris déchirent les sacs pou­belles dépo­sés au sol pour y voler des dor­sales de pois­son ou des restes de merguez.
Et les portes tra­di­tion­nelles tuni­siennes sont reta­pées, colo­rées: jaune ou bleue clou­tées avec un heur­toir en fer for­gé par des artisans.

Au coeur de la Medina

Le len­de­main, la ville s’éveille en fan­fare. Logés au 3eme d’une pen­sion de 5 étages, on entend du brou­ha­ha: les gens crient, s’ap­pelent, ouvrent leur bou­tique du souk. On se croi­rait au Panier à Marseille. Le Muezzin qui appelle à la prière 5 fois par jour, les rires des enfants. Nous déjeu­nons sur le toit-terrasse, et là c’est le film “Halfaouine, l’enfant des ter­rasses” qui me revient en mémoire.
Je défais mes bagages, papa est là avec nous dans des boîtes. J’aimerais tant qu’il puisse revoir sa Tunisie. La survole-t-il ? Tous disent qu’elle a chan­gé mais cer­taines choses semblent figées, gra­vées dans le marbre. Le souk, la men­ta­li­té et les tra­di­tions. Avec une crise éco­no­mique en toile de fond, qui a engen­dré insé­cu­ri­té, chô­mage et pau­vre­té. Une dés­illu­sion des jeunes qui réclament quelques dinars pour un ser­vice ren­du, presque chaque jour !

Un fos­sé encore plus grand s’est creu­sé entre riches et pauvres et l’inflation est ter­rible : tout a aug­men­té. Le ven­deur à la sau­vette vend des shots de thé sur la plage à 2,5 dinars !

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